Les 100 derniers kilomètres jusque Saint-Jacques de Compostelle sont devant moi… Je mets bien qu’il s’agit des derniers kilomètres avant Saint-Jacques, et non les miens, car pour rejoindre Fisterra, il me faudra parcourir 90 km de plus…. Enfin, si j’arrive à repartir après Saint-Jacques de Compostelle…

 

Je suis à 3 km avant Sarria, point de départ des 100 km nécessaires et suffisants pour qu’un pèlerin à pieds obtienne à Saint-Jacques sa Compostela (en vélo, c’est 200 km). Ça fait quel effet de se dire qu’il reste 100 km?

 

D’abord, ça change le paysage, au sens propre comme au sens figuré.

Au sens propre, car hier, j’ai passé le dernier « obstacle », la dernière montagne, le Cebreiro et les deux cols qui le suivent. Et comme si cela était une destinée, je les ai passé dans le brouillard (Pyrénées remember…), j’ai passé la nuit dernière dans la descente, en pleine montagne, en plein brouillard, et suis repartie ce matin toujours dans le brouillard… Toujours est-il que le Cebreiro marque l’entrée en Galice, dernière région à traverser. Il faut imaginer un paysage de montagne, moins haut que les Alpes mais tout aussi vert, avec des maisons et bâtisses en granit, version Bretagne. Le tout fait un mélange très agréable.

Alto de Poio.

Alto de Poio.

 

Sur les chemins du Cebreiro.

Sur les chemins du Cebreiro.

 

Au sens figuré car on voit ici débarquer  sur le chemin des pèlerins d’un autre genre, avec des petits sacs à dos pour 5 jours de marche, des chaussures toutes belles, et des vêtements qui sentent encore la Soupline… (Moi, j’ai oublié ce que c’est que la Soupline et je crains devoir reprendre le mode d’emploi de ma machine à laver en rentrant chez moi…).

 

Ensuite, on réalise que c’est bientôt la fin. À dire vrai, j’ai déjà réalisé cela la semaine dernière, lorsque je me suis rendue compte à León, qu’ensuite, il me restait moins de 15 jours de marche. C’est une impression indescriptible. Je me dis « déjà », c’est déjà là, alors que je suis partie et j’ai marché chaque jour depuis presque 2 mois, 57 jours exactement aujourd’hui. J’ai du mal à me rendre compte que les 1 522 km indiqués sur ce panneau au Puy-En-Velay sont déjà presque derrière moi. J’ai du mal à me rendre compte que j’ai parcouru tout ça, à pieds. Ça me semble à moi-même incroyable.  Et pourtant, c’est effectivement vrai.

Et en même temps, je ne suis pas contre retrouver mon chez-moi, mon intimité, mon univers.

Mais j’ai aussi peur. Peur de la fin. Peur de la suite. Peur de revenir dans mon environnement après tout cela. Peur de me retrouver seule aussi. Je crois bien que c’est là ma plus grosse angoisse, après tous ces moments passés en communauté, en partage, souhaité ou forcé.

 

Et puis les derniers kilomètres, c’est aussi un rappel à l’ordre du corps. Encore. L’organisme est décidément un excellent baromètre. Cette semaine a été l’occasion de beaucoup d’émotions, beaucoup de choses laissées derrière moi, beaucoup de larmes aussi pour irriguer les vignes du Bierzo traversées avant le Cebreiro (gageons que les vendanges seront bonnes!…). Et plusieurs journées enchaînées à parcourir 30 km ou plus par jour, sous des températures oscillant entre 30 et 35 degrès jusqu’à avant hier. Alors depuis hier, et ce passage du Cebreiro, je me sens exténuée. Depuis quelques jours, je sens que mon corps arrive au bout, lui aussi, de ce qu’il peut donner. Les réveils forcés avant 6h00 dans les dortoirs me sont difficiles ces derniers jours. Je rêve de rester au lit le matin, et de me rendormir. Cela me fait parfois craindre de ne pas être capable de quitter Saint-Jacques pour les 3 jours de marche supplémentaires pour rejoindre Fisterra. Depuis le début, je sais que je veux rejoindre l’océan, et depuis quelques jours, la fatigue me fait parfois douter. Mon remède, c’est de ne pas penser à l’après Santiago, et de faire chaque pas au présent pour en profiter encore et encore. Saint-Jacques arrivera bien assez vite, pour ne pas y penser déjà.

 

 

Fait marquant de la journée : j’ai réalisé ces derniers jour que l’une des choses principales que j’aurai apprise sur ce Chemin, surtout sur le Camino Francès, c’est le bien que procure le fait de toucher les gens, de leur prendre la main, les mains, ou de les serrer dans les bras. Je ne suis pas habituée à ces rapports. Et ici, à plusieurs reprises, j’ai pu goûter le bien que font deux bras ouverts, et le bien que ça fait d’ouvrir ses bras à l’autre lorsqu’il en a besoin.

Encore ce matin, je me suis arrêtée faire une pause dans une halte « donativo », sorte de lieu d’accueil dans des endroits souvent perdus dans la nature ou un village désert. On y entre et on est accueilli « comme à la maison ». Il y a souvent un côté spirituel qui se dégage de ces endroits. Des bouddha, de l’encens, des pensées positives à partager, des canapés, des espaces pour s’asseoir, s’allonger, de la nourriture et des boissons parfois bio, toujours végétariennes. Tout cela sur le principe du « donativo », la libre participation responsable, le principe du « donne avec ton cœur ».

Suis ton cœur.

Suis ton cœur.

Les personnes qui mettent en place ces lieux sont des gens ouverts à tout, adeptes du moment présent, avec des airs hippies, passant leurs hivers en Inde pour certains. Leur mode de vie, c’est de donner pour recevoir.

Ce matin, en arrivant dans cette cour où on trouvait cette pensée à l’entrée « suis ton cœur, ton cœur est ta boussole », le premier geste qu’on a eu vers moi, c’est de me prendre le bras et la main, et de me dire « bienvenue, prends ton temps ». Comme j’avais besoin de cela ce matin! Je m’installe, je discute, un peu, je partage le silence aussi, je lis les citations. Et en partant, les deux personnes qui s’occupent de cet accueil m’ont pris dans leurs bras. Je ne les connais pas, ils ne me connaissent pas, on ne se reverra pas, mais à ce moment, ils ont ce geste et ce don d’eux-même qui font du bien. C’est gratuit, et ça vaut tout l’or du monde. Ce genre de moments vécus sur le Chemin (il y en a eu d’autres du même genre) sont toujours les bienvenus. Ce don de soi à travers le geste, c’est là, pour moi, une découverte, un enseignement clef, je crois, dans mon cheminement.