Le passage à l’heure espagnole, pour moi, pour le moment, c’est surtout les petits dej version espagnole, un régal!

En Espagne, le réveil dans les dortoirs sonne plus tôt (ce matin, 4h15… Mais je me suis rendormie jusque 6h00… Je sais, bientôt, je ne pourrai plus, il fera trop chaud…). Le plaisir, c’est de partir le ventre presque vide à 6h30, de marcher à la fraîche 1 ou 2 heures, et de s’arrêter au premier village, dans un bar un peu typique (et pas l’attrape pèlerins, à l’entrée du bled) et de commander « un trozo de tortilla y un cafe americano, por favor ». Une journée de marche qui commence avec une omelette épaisse et encore tiède et un grand café, sur une terrasse, qui se remplit de pèlerins de toutes les nationalités et avec eux, de visages qu’on croise et recroise dans la journée : quel plaisir!!! Ce matin, en se rapprochant du village, on sentait l’odeur de la tortilla en train de cuire… Un délice!

 

Et puis il faut absolument que je vous raconte l’anecdote du jour. C’est bien plus qu’un « fait marquant de la journée », c’est une histoire de « vie du Chemin », avec un grand C!

Dans la matinée, j’arrive à Pamplona avec mes deux acolytes de marche depuis 2 jours : Jean-Maurice, parti du Mont Saint-Michel, et Tomas, un franco-espagnol qui commence son camino. Devant le panneau d’entrée dans la ville, on retrouve Sylvie, partie de Bourg-en-Bresse, et Jean-Marie parti de Chartres avec sa carriole. On est tous des « habitués » du Chemin, sauf Tomas, qui découvre un peu, ne porte pas de coquille sur son sac (« les trucs de pèlerins, c’est pas pour moi… ») et marche depuis 4 jours avec un bâton ramassé dans la montée vers Ronceveaux. On avance, à 5, contents de se retrouver. Tomas et Jean-Maurice devant, Sylvie, Jean-Marie et moi à leur suite. A un moment, une voiture nous klaxonne, s’arrête à la hauteur de Tomas. Un homme aux cheveux blancs sort, sans couper le contact de son véhicule. Il ouvre son coffre, pendant qu’on le regarde en se demandant ce qu’il va en sortir. Il ressort la tête du coffre avec un bâton de marche bien droit, ciselé au bout, et le met dans les mains de Tomas. Il ferme le coffre, nous salue tous les 5 d’un grand « Buen Camino », entre dans sa voiture et repart. On a juste le temps de se rendre compte de ce qui vient de se passer, et de lever les bras pour saluer le vieil homme, déjà parti. Tomas n’en revient pas. Il entre dans Pampelune avec ses deux bâtons.

1 heure plus tard, Tomas achète sa coquille stylisée de Saint-Jacques et l’accroche fièrement à son sac à dos. On le taquine, en lui disant « Tu vois?! Toi aussi, tu deviens pèlerin, finalement!!! » ?

En sortant de la ville, il dépose son ancien bâton dans le Parc de la Citadelle, sur le Chemin, avec l’espoir qu’il dépanne un prochain pèlerin.

C’est ça, l’Esprit du Chemin. Quel bonheur!!!

Une journée de changements.

Une journée de changements.

Passer les Pyrénées. L’étape dont j’avais lu qu’elle était la plus difficile mais aussi la plus belle. C’était aujourd’hui, et je suis épuisée, et en même temps un peu émerveillée, je crois, par cette journée.

Je suis partie avec le sentiment qu’il s’agissait presque d’un nouveau départ. Comme le début d’un deuxième chemin. Ce matin, il y avait chez moi un mélange d’anxiété et d’excitation, de joie et de peur : on a envie d’y aller, de partir, de réussir, mais on se demande quand même « vais-je y arriver? ».

Au départ de Saint-Jean-Pied-de-Port, on est porté par le flot des pèlerins qui prennent la route. A Saint-Jean-Pied-de-Port, l’ambiance a déjà largement évolué par rapport aux étapes précédentes. On a un peu l’impression que le village est totalement dédié aux pèlerins, et surtout, les pèlerins viennent de partout dans le monde. Hier soir, autour de la table, 14 pèlerins, 4 français, et les autres venaient d’Italie, du Brésil, de Corée, de Norvège ou d’Allemagne. Dans la montée, c’est pareil, toutes les nationalités se côtoient.

 

Dans la montée, justement, passé Orisson et les 8 premiers kilomètres (très raides), je suis passée dans le brouillard et ne l’ai plus quitté jusque Ronceveaux. C’est une drôle de sensation : on ne voit ni le ciel, ni l’horizon de toute la journée.

En dessous du brouillard...

En dessous du brouillard…

 

Les pèlerins se mettent en file indienne le long de la route ou du chemin. Chacun à son rythme et au rythme des averses (une averse par heure environ aujourd’hui). Une fois recouvert des ponchos, on a l’air de petits fantômes. J’avais l’impression de faire partie d’une procession de fantômes, le long d’un ruban de bitume qui se perd rapidement dans le brouillard. Au bout d’un moment, en montant, le brouillard s’épaissit. On voit à peine le fantôme devant soi. Et personne ne parle. Ça me donnait l’impression d’avancer dans un univers rempli de blanc, et silencieux, comme dans du coton.

Les fantômes dans le brouillard.

Les fantômes dans le brouillard.

 

On avance en suivant juste les marques rouges et blanches. On perd tous les autres repères. Je ne savais plus quelle heure il était. Rien pour s’arrêter, rien pour s’asseoir ou faire une pause. Je fais un ou deux arrêts, rapides. Je grignote quand j’ai faim sans savoir s’il est 10 h ou déjà midi. Et ça monte toujours.

Pendant ces moments, on ne réfléchit pas vraiment. En tout cas, ce n’est pas le moment de se demander ce qu’on fait là, et pourquoi on marche : ce n’est pas le moment de douter! Par contre, j’ai eu le temps de repenser aux 750 kilomètres déjà parcourus, les étapes et villages qui m’ont marquée, les rencontres aussi. J’ai pensé à tous ceux à qui j’ai déjà dit au revoir, ceux que j’ai perdu de vue il y a quelques jours et que je ne reverrai pas, puisqu’ils s’arrêtaient avant les Pyrénées. Et ceux que j’ai croisé hier en lançant « à demain, à Ronceveaux! ».

 

Le vent était froid. Et de temps en temps, il arrivait à pousser un nuage et je découvrais un morceau de montagne ou de vallée.

Une trouée...

Une trouée…

 

Jusqu’au col de Bentarte et la Fontaine de Roland, je vais bien. Les derniers kilomètres de montée, alors que j’ai fait le principal, sont par contre interminables. La fatigue s’accumule, et maintenant, j’ai vraiment froid. À partir de là, plus rien ne compte. Je monte, j’essaie de ne pas me faire mal, de boire régulièrement. Passage du col de Lepoelder. Photo, sourire de circonstance. Début de la descente. 4 km de descente, très raide, dans les bois, la boue et toujours le brouillard. Je ne sais toujours pas l’heure, mais ces 4 km dans la boue semblaient ne jamais vouloir se terminer, je n’en voyais pas le bout. Et j’étais épuisée, à rêver d’une douche chaude, d’un thé brûlant, avec un (ou deux ou trois…) carré de chocolat, du réconfort. Interminables.

La descente dans la forêt.

La descente dans la forêt.

 

En arrivant, on est soulagé : enfin! Je crois que je n’ai jamais fait quelque chose qui m’a autant crevé, entre la montée, certes, mais aussi la pluie, le vent et le froid humide.

 

Et on arrive dans une mécanique bien huilée, celle de l’abbaye de Ronceveaux : plus de 180 lits et jusqu’à 300 au moment de grandes affluences. Rien que le placard des chaussures m’a donné le vertige!

Le placard des chaussures à Ronceveaux.

Le placard des chaussures à Ronceveaux.

On m’a attribué le lit 254 à l’accueil. En arrivant dans le bâtiment, j’avais l’impression d’être dans un sous-marin! Mais à dire vrai, vu mon état de fatigue, le côté cadré « là, le lit ; là, les douches ; pour la lessive, tu suis les flèches jaunes ; repas à 19h » m’allait très bien un jour comme aujourd’hui, où j’avais déjà grillé tous mes neurones…

Je suis à J-2 du passage des Pyrénées, 30 jours pile après mon départ du Puy-En-Velay. Et avant les Pyrénées et la grimpette qui fait frémir tout le monde, cette semaine aura été une semaine de gros creux.

 

J’avais parlé des deux jours de pluie dans le Gers. Et puis a suivi une journée dans les champs de maïs, qui s’est achevée par 2 km le long d’une ancienne voie ferrée, puis 5 km le long d’une nationale en arrivant à Aire sur L’Adour. Là dessus, une soirée dans un gîte avec un petit groupe dont un dépressif du Chemin qui fait ce « Camino de merde à l’envers, pour être sûr de ne pas croiser le lendemain les gens qu’il a rencontré la veille » ont eu raison de moi et surtout de mon moral. Quelle ambiance?!

Alors bien-sûr, sur le Chemin, c’est comme sur le chemin de la vie : on rencontre de tout, des personnages de tous les ordres. Ces rencontres font parti du Chemin comme elles font parti de la vie. Ce que j’en retiens, c’est que j’ai toujours du mal à m’en prémunir, d’abord. Mais la bonne nouvelle, c’est que j’ai réussi à « passer au-dessus » après avoir appelé « à l’aide » autour de moi. Des deux gars croisés au Café des Sports de Arzacq-Arraziguet, aux autres pèlerins rencontrés dans les gîtes qui ont suivi, des amis via Facebook ou le téléphone, tout y est passé! Merci à tous pour vos contributions!!!

 

Ce qui a aussi participé à me faire retrouver de l’énergie, c’est le paysage qui a changé depuis que je suis arrivée dans le Béarn il y a deux jours, et au Pays Basque surtout, hier. Enfin, le Chemin renoue avec des paysages fabuleux. En contre partie, il pleut, tous les jours, et plusieurs fois par jour. Mais ça ne dure pas, et ça ne suffit pas à tremper les pieds! Et même les pluies et orages que l’on voit arriver de loin sur les Pyrénées ne nous découragent pas. Au contraire : les nuages arrivent comme une couverture qui recouvre les sommets, sur le bleu du ciel. C’est très impressionnant, et les contrastes sont saisissants.

 

Avant l'orage.

Avant l’orage… Faut qu’j’me dépêche…

 

Après la pluie... Et avant la prochaine averse...

Après la pluie… Et avant la prochaine averse…

 

Ostabat, dernière étape avant Saint-Jean-Pied-de-Port.

Ostabat, dernière étape avant Saint-Jean-Pied-de-Port.

 

Ce soir, 20h30 (29/05/2016).

Ce soir, 20h30 (29/05/2016).

 

 

Dernière chose qui fait un bien fou au pèlerin (et m’a réchauffé le cœur), c’est l’esprit et le regard qu’on lui porte. Depuis deux jours, les gens que je croise en voiture saluent de la tête. Avant hier, alors que je traversais les champs de maïs en plein soleil, toute seule, à 15h (ça chauffait sévère!), certains m’ont encouragée. Le moindre robinet ou tuyau d’arrosage est fléché « eau potable » dans les jardins. Les habitants improvisent des accueils de pèlerins dans leurs garages ou leurs jardins. A la boulangerie, les clients nous interrogent : d’où on vient, depuis quand nous sommes partis, jusqu’où nous allons. Cette considération et cette place que les habitants nous font, fait un bien fou. Ça semble anodin, mais depuis 30 jours que je suis partie, c’est la première fois que je ressentais cette gentillesse et cette attention vis-à-vis du pèlerin. Et je ne suis pas la seule à les avoir remarquées.

Dans d’autres régions, il m’est arrivé qu’on me dise, dans un « accueil de pèlerins » (donc un lieu où on devrait être accueilli…), qu’il faut « consommer pour espérer avoir accès aux toilettes » (ce à quoi j’avais envie de répondre « désolée, je n’avais pas vu le panneau Paris à l’entrée »… No comment…). C’était après Cahors. Du côté de Moissac, c’est un énorme soupir d’agacement qui était « l’accueil ». Ce genre de petites choses contribuent aussi au sentiment d’être vagabond, étranger, presque marginal. Et depuis deux jours, on a l’impression qu’une petite place nous a été faite, qu’on nous reconnaît. Ça n’a l’air de rien, dit comme cela, mais c’est vraiment touchant et important pour les pèlerins, et sans doute pour moi en particulier. Nous sommes de passage, ici, mais il y a une forme de respect et de place pour ce que nous avons entrepris et ce que nous sommes, un peu vagabond, et surtout pèlerin.

Je crois qu’hier, j’ai quitté le Gers et je n’en ai pas parlé, sauf de la pluie. Qu’ai-je retenu d’autre que la pluie???

Ma première impression n’a pas été terrible : des grandes parcelles de céréales et maïs. Le paysage sentait l’agriculture intensive (et la prime PAC)… Bof. Et puis, à partir de vendredi dernier (NDLR : à l’heure où j’écris, nous sommes mercredi), je suis arrivée dans les vergers de pruniers, puis dans les vignes progressivement. Bref, en résumé : dans les chemins du Gers, j’ai écouté pousser l’Armagnac.

J’ai aussi retenu quelques superbes lieux découverts à pieds. Le village de La Romieu restera dans mes coups de cœur. Et Celui de Larressingle, surnommé « la Carcassonne du Gers », ressemble à un décor du Puy du Fou.
A part ça, niveau paysage, c’est assez moche…

Ce que je retiens surtout, c’est la recette des pruneaux à l’Armagnac!!!
Pour faire les pruneaux à l’Armagnac, il faut des pruneaux secs (pas demi-secs) qu’on laisse se réhydrater dans du thé noir froid (surtout pas chaud) pendant 3 à 4 heures. Ensuite, on laisse égoutter les pruneaux pendant 24 à 48 heures, recouverts d’un torchon (propre…).
2 jours plus tard, on verse les pruneaux dans un bocal et on les recouvre aux 2/3 d’Armagnac et on ajoute du sirop de sucre pour le tiers restant (soit on fait son sirop, soit on utilise du sirop de sucre de canne liquide par exemple). On ferme le bocal, qu’on stérilise (pour éviter de perdre « la part des Anges », tant pis pour les anges) et puis on attend…. Longtemps (quelques mois). On attend et on déguste. J’ai goûté, c’est délicieux!

 

 

Je crois que les pruneaux à l’Armagnac, c’est ce que j’ai retenu de mieux du Gers, en fait…
A part ça, aujourd’hui, l’étape était dans les Landes… 18 km à marcher dans les champs de maïs ce matin, ça ne fait rêver personne… Heureusement, je suis passée depuis dans le Béarn. Il y a quand même un « fait marquant de la journée« , en plus du maïs, c’est d’avoir marché avec à l’horizon, la chaîne des Pyrénées et ses sommets enneigés qui se découpent. Vous ne voyez rien sur le photo, ou presque rien, mais ils sont là, à 150 km à pieds. J’ai pris rendez-vous avec les Pyrénées la semaine prochaine! Si tout va bien, Roncesvalles (et le dortoir de 130 lits à l’Abbaye…), c’est pour mardi!!!

Le maïs des Landes et les Pyrénées.

Le maïs des Landes et les Pyrénées.

 

Un passage dans les Landes et puis s'en vont.

Un passage dans les Landes et puis s’en vont.

I’m walking in the rain… Tanana nana na na naaaaaa na na…. Bref : 2 jours que je marche sous la pluie… Et que je n’ai pas du tout envie de chanter…

 

J’avais déjà eu une journée de pluie non-stop, du côté de Decazeville. Là, c’est la version orage. Hier, départ à 8h15 sous l’orage…27 km sous la pluie, presque ininterrompue. Aujourd’hui, 20 km sous les averses orageuses, les pieds dans la boue… Dur dur.

 

A quoi pense-t-on quand on marche sous la pluie???

Les autres, je ne sais pas. Moi, je pense d’abord à l’inventeur du poncho modèle « pélerine » de Quechua, et me demande pourquoi il n’a pas pensé à faire descendre le poncho jusqu’aux chevilles, plutôt que de l’arrêter aux genoux…. En moins d’1 km, on sent déjà le pantalon trempé qui colle aux mollets, puis l’eau qui remonte le long du pantalon par capilarité, à en avoir presque la petite culotte mouillée sous le poncho après 1 heure de marche!!! C’est quand même pas malin!!!

 

Le look "dromadaire" de l'été, dans le Gers.

Le look « dromadaire » de l’été, dans le Gers pluvieux… Les tongs python, c’est pour plus tard!

 

Au bout de quelques kilomètres de plus, je pense à l’inventeur des chaussures waterproof-pas-waterproof sous une pluie verticale continue (mais comment ont-ils testé leurs godasses???). Et je finis par repenser à ce que j’avais lu dans le « Miam miam dodo – Mode d’emploi de Compostelle » : la bonne nouvelle, c’est que l’eau se réchauffe au contact du pied. Je confirme… ?

Au bout de plusieurs heures sous la pluie, la première fois, j’ai même vu mes chaussures mousser?!?! La mousse sortait des trous d’aération. Mais qu’est-ce qu’ils-y-mettent, dans les chaussures?!?!

 

Ce que je préfère, les jours de pluie, c’est d’abord quand on commence à voir le ciel ce dégager à l’horizon : on a l’impression qu’un second matin se lève dans la journée. C’est une deuxième aube. Et juste après, on voit les collines et la nature qui respirent et soupirent, quand des gros nuages de vapeur se décrochent de la végétation pour rejoindre le ciel. C’est magnifique, comme le retour de la lumière dans un soupir de soulagement.

La campagne autour de Decazeville après la pluie.

La campagne autour de Decazeville après la pluie.

 

 

Ironie du sort : hier, après le départ, au Pont d’Artigues, j’ai été rejoint par un chien perdu sur le Chemin. J’ai d’abord essayé de faire en sorte qu’il ne me suive pas trop longtemps, pensant qu’il valait mieux qu’il ne s’éloigne pas trop loin de chez lui… Et puis sous la pluie, avec tout l’attirail… J’ai laissé tomber. Le chien m’a suivi.

Quand la pluie a diminué, j’ai essayé d’appeler les numéros de téléphone gravés sur son collier. J’ai retrouvé sa maîtresse, et j’ai appris que le chien était une chienne prénommée « Happy »!!!… Un jour de pluie : quelle ironie! Happy m’a accompagnée pendant 10 km, jusqu’au prochain village, Montréal du Gers, où sa maîtresse est venue la rechercher. Et moi, j’ai pris un café et une longue pause avant de repartir… Sous la pluie…

"Le chemin est beau parce que j'y suis".

Le chemin est beau parce que j’y suis.

« Le camion n’est plus qu’un point. Je suis seul et les montagnes m’apparaissent plus sévères. […] Le pays me saute au visage. C’est fou comme l’homme accapare l’attention de l’homme. […] La solitude est cette conscience qui vous rend la jouissance des choses. […] Être seul, c’est entendre le silence ». 

Sylvain Tesson – Dans les forêts de Sibérie 

 

J’ai toujours trouvé que Sylvain Tesson avait une vision extrême de l’aventure, un côté « trash » parfois, et son expérience de 6 mois dans une cabane  sur les bords du lac Baïkal est une démonstration de l’extrémisme dont il est capable. Pourtant, je reste enchantée de le lire, pour ces phrases « choc » qui résonnent, et résonnent encore. Cet extrait choisi de son premier jour dans sa cabane, dépeint exactement la sensation que je ressens, le matin, les jours où je quitte seule  le gîte : « être seul, c’est entendre le silence ».

J’adore ce premier moment de la journée. Départ un peu avant 8h. L’air est encore frais. La rosée sur les herbes du bas côté mouille encore les chaussures. Je commence à marcher en silence, en écoutant les insectes, les oiseaux, et les coqs qui m’accueillent quand je traverse un hameau. Je finis de me réveiller avec la nature qui s’éveille, elle aussi. Avec le soleil qui monte dans le ciel, la chaleur qui arrive doucement. Et puis j’enlève ma veste au bout d’une heure. La journée peut commencer.

 

Ce que j’aime, c’est marcher comme ça, 1h30 ou 2h, jusqu’au prochain village. Et puis s’installer en terrasse, même quand il fait gris. Commander un café. Et attendre les autres pèlerins qui arrivent au compte goutte. L’un et l’autre qui me rejoignent pour un café. Le premier repart vite, pressé d’arriver, l’autre s’installe et on en commande un second. Un troisième arrive et reprend un petit déjeuner ou décide de déjeuner en fin de matinée. Il est 11h. Je croise dans le village ceux qui sont partis à 6h et qui finissent leur étape, les trois alsaciens « lèvent tard » qui arrivent doucement, alors que je repars pour 2h de marche avant ma pause déjeuner. Je suis de ceux qui préfèrent marcher 15 km avant le déjeuner, plutôt qu’après. A chacun son rythme. Mais on se retrouve toujours.

image-28

 

 

Fait marquant de la journée : en arrivant au gîte, hier, je tombe sur cette note.

image

 

Ça donne ça, avec vue sur le cimetière ???

Le jardin du curé, a Lascabanes.

Le jardin du curé, à Lascabanes.

3 ou 4 jours que je traverse les Causses, avec le sentiment d’être presqu’en Écosse en regardant le ciel gris. Les autochtones, eux-mêmes surpris de servir de la soupe en plein mois de mai, nous certifient que ce temps frais et pluvieux est inhabituel… Plus que la météo, ce qui m’a marqué jusque-là, dans la traversée des Causses, ce sont les cultures de chênes (pourquoi? Les truffes??? Vu les barbelés autour des parcelles, on se demande) et celles de cailloux… Oui, oui, des cailloux, genre calcaire. Il y en a des champs entiers, où rien ne pousse. Démonstration :

Les Causses.

Les Causses.

Le Chemin dans les forêts de chênes.

Le Chemin dans les forêts de chênes.

Les champs de pierres.

Les champs de pierres.

En bref, des chemins très agréables, une terre qu’on sent pauvre, des paysages pelés que j’affectionne et très peu d’habitations.

 

Mais ce que je retiens des Causses, c’est aussi les indications du Chemin vers Compostelle pour le moins confues (vous ne voyez peut-être pas bien, mais Cajarc est inscrit 2 fois, dans 2 directions différentes, avec 2 kilométrages différents, sur ce poteau qui porte l’indication GR 65 de tous les côtés… Concentration indispensable…).

Tous les chemins mènent à Varaire.

Tous les chemins mènent à Cajarc.

 

Les burons en pierres sèches qui servaient (ou servent encore) aux bergers :

Buron des Causses.

Buron des Causses.

 

Les chenilles vert fluo… Une éternité que je n’en avais pas vues autant. Elles sont pendues par un fil de soie depuis les branches des chênes et il n’est pas rare qu’on les collecte en passant… Dans les cheveux, la capuche, les manches….

Les chenilles des Causses

Les chenilles des Causses.

 

Et le mauvais goût de certains, pas propre aux Causses, j’en conviens…

La gouttière...

La gouttière à tête de grenouille…

 

 

Fait marquant des deux derniers jours : mon premier « monument champêtre » à la gloire de la coquille Saint-Jacques… Uniquement en coquilles Saint-Jacques, toutes colorées, et qui font « bling bling » avec le vent (j’avais bien dit « mauvais goût »). Tout le village de St-Jean-de-Laur a du s’y mettre.

Le sacre de la coquille Saint-Jacques.

Le sacre de la coquille Saint-Jacques.

Quand je suis arrivée sur ce « monument », je marchais avec un Jean-Claude qui dit « mais qu’est-ce que c’est que ça? » devant presque tout ce qu’il voit, et ensuite, il sort l’appareil photo pour immortaliser l’objet de son interrogation… C’était un peu surréaliste… Voire beaucoup…

J’ai du mal à dire au revoir aux gens. J’ai du mal et j’ai mal, même, parfois. J’y ai pensé toute la journée, aujourd’hui, en marchant seule après avoir laissé Nadine et Didier sur la route de Rocamadour. Il y a quelques jours, ça avait déjà été le tour de Denis et Bernard, à Estaing. Voilà donc presque 15 jours que je marche et déjà quelques « au revoir ».

Je sais dire au revoir et quitter des lieux, des situations ou circonstances, mais j’ai souvent plus de mal à quitter les gens avec lesquels il y a eu une forme de partage. Ceux qui ont partagé une semaine ou quinze jours de vacances. Ceux avec qui j’ai étudié ou travaillé. Et sur le Chemin de St-Jacques, c’est parfois ceux avec qui j’ai marché, un peu, beaucoup, ou ceux avec lesquels on a passé une soirée chaleureuse. Et ce sera même sans doute ceux avec qui je passerai une heure seulement, mais chacun aura traversé la vie de l’autre. Quelqu’un m’a dit un jour qu’on est fait des gens qu’on rencontre. Le Chemin aussi est fait des gens qu’on rencontre, et qu’on garde un peu avec soi, pour le reste de la route.

 

Hier a été une journée « surprise » : la pluie était annoncée (encore… Je reviendrai plus tard sur ce que c’est que de marcher sous la pluie toute une journée…) et on a finalement eu grand beau pour quitter l’Aveyron et fouler les chemins du Lot. Au fur et à mesure des kilomètres, on voit les paysages changer, les pierres passent du gris à l’ocre, la tuile remplace l’ardoise, les moutons prennent la place des Aubracs dans les prés, le Cahors remplace le Marcillac dans les verres : tout semble nous dire qu’on avance!

De l'Aveyron au Lot (25 km).

De l’Aveyron au Lot (25 km).

 

Et voilà la « recette du jour », celle qui permet de soigner une tendinite naissante.

L’astuce du chef : l’ingrédient le plus important, c’est le 3 bis, dit « ingrédient miracle »… Pas toujours fastoche à trouver (d’ailleurs, s’il est en 3 bis, c’est que je l’avais moi-même oublié…) mais indispensable.

La recette "tendinite".

La recette « anti-tendinite ».

 

Deux choses m’ont fait choisir la Via Podiensis qui part du Puy-en-Velay : traverser le plateau de l’Aubrac, et retrouver Pierre Soulages à Conques, ou plutôt, ses vitraux dans l’abbatiale.

Il y a un an et demi, la visite du Musée Soulages à Rodez avait généré chez moi un vrai coup de foudre. Depuis, j’ai gardé un dépliant touristique sur Conques et je me disais que j’irai, un jour.

J’y suis. Et je ne suis pas déçue. Je suis déjà fan des contrastes entre les périodes et styles artistiques : j’aime les colonnes de Buren dans la cour du Palais Royal, la Pyramide du Louvre et même le Centre Georges Pompidou. Et j’ajoute à la liste les vitraux de Soulages. J’aime leur simplicité gracile, qui laisse intact le côté brut du style roman de l’abbatiale, tout en y apportant une certaine douceur. J’aime les mouvements doux qu’ils apportent à l’édifice robuste. Ce matin, pour arriver à Conques, mon compagnon de Chemin du jour et moi avons traversé des paysages battus par un vent très fort. Sur les champs de blé encore vert, on aurait dit qu’il y avait des vagues vertes, un peu ondulantes. Les mouvements des vitraux m’ont exactement fait penser à ces ondes sur les champs traversés ce matin.

Et la nuit, les vitraux sont encore plus beaux : ils deviennent bleu nuit et doré, presque couleur bronze. Pour moi, c’est là toute l’intelligence de Soulages : des vitraux qui évoluent avec la luminosité, comme ses Outrenoirs.

 

Et puis Conques correspond à mon dixième jour de marche depuis le Puy : un petit bilan s’impose!

Bilan technique et santé :

-J’ai passé la barre des 200 km ce matin (whaouuuuuu!!!!) : 209 km parcourus, « plus que » 1 313 km jusque Santiago…

-Pour arriver jusque-là : aucune ampoule aux pieds à déclarer (viva la pommade NOK!!!! Hip Hip Hip! Hourrrraaaa!) et pas de gros bobo (pour le moment).

Mes mollets douloureux et raides le matin, en descendant les escaliers, ont pris l’habitude des 20 bornes de moyenne par jour… Le plus dur, pour moi, c’est le sac à dos. Les 4 ou 5 premiers jours (donc 50% du temps quand même…) mon dos n’a été que douleurs. Les lombaires en feu le 1er jour, les épaules le lendemain, et qui me font toujours souffrir dès que je suis fatiguée (j’en fais un indicateur : épaules qui font mal = arrête-toi). J’ai eu les os des hanches (sur lesquels repose la sangle du sac à dos) douloureux aussi. Bref, il y a des jours, je rêverais presque de mon ostéopathe!…

Comme me le disait un « amoureux du Chemin », croisé à St-Chély, alors qu’il emmenait ses amis jusque Conques : « je pouvais leur expliquer la marche, l’ambiance, les paysages, les gîtes. Mais ce que je ne pouvais pas leur raconter et qui est une partie importante du Chemin, c’est la douleur ». Et il a raison. Non pas que le mal nous amuse, nous, pèlerins, mais notre corps, notre moyen de transport, est devenu notre plus importante préoccupation. Quand on marche, on devient hyper-sensible au moindre ressenti, au moindre tendon qui tire (celui du pied droit en ce qui me concerne), au moindre muscle qui faiblirait, au moindre caillou qui amènerait au faux pas. Les uns s’arrêtent 24 h, le temps de faire cicatriser une mauvaise ampoule qui leur a laissé le talon à vif, les autres se trouvent un bâton dans les bois pour soulager une hanche qui fait mal ou une cuisse qui tire dans les montées. Perso, je me fais des onguents de crème à l’Arnica sur les jambes les soirs des étapes difficiles. Étirements du dos et des mollets tous les jours. En fait, on réapprend à écouter son corps et ce qu’il veut nous dire. Ça paraît simple, mais nos habitudes nous ont souvent éloigné de ce bon sens, malheureusement.

-Dans le bilan technique, je peux ajouter -2 kg dans mon sac à dos, dont 1,5 kg dégagés au bureau de poste de St Alban sur Limagnole (on m’avait prévenue!!!) :

-« Quoi??? Tu as largué ton sac de couchage??? Mais tu feras comment en Espagne, sans couverture, ni sac de couchage???

-Tant pis, je dormirai toute habillée s’il fait froid. »

 

Bilan du reste, quelque part entre le moral, le mental et le spirituel :

Dans l’ensemble, je dirais « bon, quoi qu’un peu mitigé parfois ». Bon, parce que ça va, globalement. Il y a certes des matins où c’est plus difficile de prendre la route que la veille, mais globalement, ça va.

Et parfois, je suis étonnée, mitigée, tiédasse : je constate que jusque-là, j’ai rencontré peu de gens qui parcourent le Chemin en mode « lâcher prise », en mode « je vais là où mes jambes me porteront ». Ça me surprend. Il paraît que ceux-là, je les retrouverai sur la longueur, plus tard. Pour le moment, face à la grande liberté que peut offrir le fait de parcourir un chemin comme on le veut, j’ai l’impression que beaucoup se recréent des contraintes, des freins, des cadres.

La « réservationnite aiguë » due au week-end de l’Ascension m’a pris la tête quand on me demandait dès 9h du matin, une semaine avant :

-« T’as réservé pour ce soir?

-Non.

-T’as réservé pour le pont de l’Ascension?

-Non plus ». Ce qui m’a certes valu d’avoir du mal à trouver de quoi dormir pour 3 nuits, mais j’ai trouvé.

Il y a ceux qui suivent texto les étapes des guides :

-« 33 km demain, c’est énorme, j’y arriverai pas!

-Ben arrête-toi plus tôt.

-Oui, mais le guide met 33 km pour l’étape suivante!

-…?!!?… »

Et il y a les sportifs, qui se chronomètrent presque, se dopent à l’aspirine le soir, se donnent 1 mois pour telle distance, ou 50 jours pour aller du Puy à St-Jacques…

Moralité : ça donne l’impression que de se laisser ré-apprivoiser par la liberté d’être, de choisir, d’avancer ou non (la Liberté, quoi), ce n’est pas si simple… À méditer…

 

 

Fait marquant de la journée : en appelant pour trouver mon hébergement du jour à Conques, je demande s’il y a une épicerie dans le village. On me répond :

-« Non, l’épicerie de Conques a fermé et n’a jamais été réouverte. Si vous cherchez une reconversion, ça peut être une excellente idée, ce serait bien utile!

-…?! »

Et tout à l’heure, j’ai adoré une maison magnifique chargée de glycines dans le village. En la prenant en photo, je me suis rendue compte qu’elle était à vendre… Coïncidences??? ?

La maison aux glycines - Conques

La maison aux glycines – Conques

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Y’en a marre! Ras le bol des touristes et autres « randonneurs du dimanche » qui viennent marcher 3 jours pour le « pont » de l’Ascension! Non seulement, ils  narguent les pèlerins en nous doublant dans les montées interminables avec leurs petits sacs à dos de 2 kg à peine, mais en plus, ils nous piquent les lits dans les gîtes d’étape!!  En ce week-end prolongé, les pèlerins galèrent pour trouver un lit dans un gîte (je parle d’un truc pour dormir, un matelas sur le sol fait l’affaire, je ne parle même pas d’une chambre), tandis que les touristes arrivent en groupe, piquent les places, tout ça pour payer moins cher. Tout simplement SCANDALEUX!

Hier, j’ai passé 2 heures à appeler tous les points de chute possibles entre Espalion et Conques. Après plus de 22 km compliqués sous une chaleur arrivée en un claquement de doigt, j’avais espéré une fin de journée différente! Un gîte d’étape devrait imposer la crédenciale (sorte de « passeport du pèlerin ») à l’entrée des gîtes. J’ai envie de les insulter quand j’en vois un passer!!!!!!!!!

Et comme m’a dit le Père Michel de l’Abbaye de Ste-Foy à Conques, hier au téléphone, après m’avoir expliqué que le dortoir de l’Abbaye était déjà complet 4 soirs de suite (dortoir de près de 100 places) : « et surtout, excellente Ascension »… Ben voyons…

 

Fait marquant de la journée : hier, je suis passée à St-Côme-d’Olt, village-bijou sur les bords du Lot, idéal pour une semaine de vacances. À recommander et à retenir pour plus tard. Sur mon dessin, c’est le toit de la flèche de l’église qui se tord comme une flamme vers le ciel.

St-Côme-d'Olt

St-Côme-d’Olt

 

 

 

 

 

Hier, je voulais déguster le plateau de l’Aubrac. Une étape dans les champs de jonquilles s’imposait!

Rieutort d'Aubrac

Rieutort d’Aubrac

Vous voyez les yourtes à droite de la photo? Ben je me suis arrêtée là, dans une yourte. Au programme : une nuit fraîche (-3 degrès dehors, environ 15 dans la yourte) réchauffée par un « sac à viande » en Thermolite, une couverture, une double couette, et des chaussons en laine ;-). Croyez-le ou non : j’ai dormi comme un bébé.

 

Départ à la fraîche, toujours, au petit matin. Ça donne ça, à 7h45 :

Un peu après Rieutort

Un peu après Rieutort

 

Puis ça, à 9h00 à Nasbinals :

Nasbinals - 9h20

Nasbinals à 9h00

Au passage : Rieutort – Nasbinals, c’est 7 km… Parcourus en 1h15… C’est le métier qui rentre ?

 

Vers 10h30-11h00, j’en suis là, quelque part sur le plateau :

Quelque part, dans la matinée...

Quelque part, dans la matinée…

Le chemin « un peu défoncé » au premier plan, plein d’ornières, c’est le Chemin de Saint-Jacques : idéal pour les entorses et les gamelles qui font mal avec un gros sac sur le dos… Non, je ne me suis gamélée, mais je chérie mes chaussures à tiges hautes qui ont protégé mes chevilles plus d’une fois!

 

Vers 13h, arrivée au bout du plateau, lieu dit « le bout de l’enfer »… C’est pas moi qui l’ai dit… Et on attaque la descente vers Saint-Chély d’Aubrac et son « pont des pèlerins » :

Saint-Chély d'Aubrac vers 15h00

Saint-Chély d’Aubrac vers 15h00

 

Plusieurs faits marquants de la journée : le 1er, c’est un paysage qui n’a rien à voir entre le matin sur le plateau, et la fin d’après-midi à Saint-Chély (les températures non plus, n’ont rien à voir…).

Le 2ème, très jacquaire : à Saint-Chély, on trouve la coquille stylisée de Saint-Jacques peinte en blanc sur le bitume, comme un signe de la circulation, et même sur les plaques d’égouts…

Plaques d'égouts - St Chély

 

Aujourd’hui, dans cette immensité, j’ai eu plus d’une fois une pensée émue en me remémorant cette soirée passée dans un buron sur ce même plateau, il y a quelques années. C’était en juin, et on se réchauffait à coup de verres de gentiane sur la terrasse, à croire que le vent est toujours froid dans ce pays. On avait enchaîné sur un vin rouge, de la truffade ET de l’aligot (c’était pas une soirée light…), tandis que certaines attisaient le feu au bouffadou. Et bien sûr, on avait ri, beaucoup. Je garde un souvenir impérissable de ces moments, et du petit bout du Chemin parcouru ensemble cet après-midi là… 😉