Le passage à l’heure espagnole, pour moi, pour le moment, c’est surtout les petits dej version espagnole, un régal!

En Espagne, le réveil dans les dortoirs sonne plus tôt (ce matin, 4h15… Mais je me suis rendormie jusque 6h00… Je sais, bientôt, je ne pourrai plus, il fera trop chaud…). Le plaisir, c’est de partir le ventre presque vide à 6h30, de marcher à la fraîche 1 ou 2 heures, et de s’arrêter au premier village, dans un bar un peu typique (et pas l’attrape pèlerins, à l’entrée du bled) et de commander « un trozo de tortilla y un cafe americano, por favor ». Une journée de marche qui commence avec une omelette épaisse et encore tiède et un grand café, sur une terrasse, qui se remplit de pèlerins de toutes les nationalités et avec eux, de visages qu’on croise et recroise dans la journée : quel plaisir!!! Ce matin, en se rapprochant du village, on sentait l’odeur de la tortilla en train de cuire… Un délice!

 

Et puis il faut absolument que je vous raconte l’anecdote du jour. C’est bien plus qu’un « fait marquant de la journée », c’est une histoire de « vie du Chemin », avec un grand C!

Dans la matinée, j’arrive à Pamplona avec mes deux acolytes de marche depuis 2 jours : Jean-Maurice, parti du Mont Saint-Michel, et Tomas, un franco-espagnol qui commence son camino. Devant le panneau d’entrée dans la ville, on retrouve Sylvie, partie de Bourg-en-Bresse, et Jean-Marie parti de Chartres avec sa carriole. On est tous des « habitués » du Chemin, sauf Tomas, qui découvre un peu, ne porte pas de coquille sur son sac (« les trucs de pèlerins, c’est pas pour moi… ») et marche depuis 4 jours avec un bâton ramassé dans la montée vers Ronceveaux. On avance, à 5, contents de se retrouver. Tomas et Jean-Maurice devant, Sylvie, Jean-Marie et moi à leur suite. A un moment, une voiture nous klaxonne, s’arrête à la hauteur de Tomas. Un homme aux cheveux blancs sort, sans couper le contact de son véhicule. Il ouvre son coffre, pendant qu’on le regarde en se demandant ce qu’il va en sortir. Il ressort la tête du coffre avec un bâton de marche bien droit, ciselé au bout, et le met dans les mains de Tomas. Il ferme le coffre, nous salue tous les 5 d’un grand « Buen Camino », entre dans sa voiture et repart. On a juste le temps de se rendre compte de ce qui vient de se passer, et de lever les bras pour saluer le vieil homme, déjà parti. Tomas n’en revient pas. Il entre dans Pampelune avec ses deux bâtons.

1 heure plus tard, Tomas achète sa coquille stylisée de Saint-Jacques et l’accroche fièrement à son sac à dos. On le taquine, en lui disant « Tu vois?! Toi aussi, tu deviens pèlerin, finalement!!! » ?

En sortant de la ville, il dépose son ancien bâton dans le Parc de la Citadelle, sur le Chemin, avec l’espoir qu’il dépanne un prochain pèlerin.

C’est ça, l’Esprit du Chemin. Quel bonheur!!!

Une journée de changements.

Une journée de changements.

Passer les Pyrénées. L’étape dont j’avais lu qu’elle était la plus difficile mais aussi la plus belle. C’était aujourd’hui, et je suis épuisée, et en même temps un peu émerveillée, je crois, par cette journée.

Je suis partie avec le sentiment qu’il s’agissait presque d’un nouveau départ. Comme le début d’un deuxième chemin. Ce matin, il y avait chez moi un mélange d’anxiété et d’excitation, de joie et de peur : on a envie d’y aller, de partir, de réussir, mais on se demande quand même « vais-je y arriver? ».

Au départ de Saint-Jean-Pied-de-Port, on est porté par le flot des pèlerins qui prennent la route. A Saint-Jean-Pied-de-Port, l’ambiance a déjà largement évolué par rapport aux étapes précédentes. On a un peu l’impression que le village est totalement dédié aux pèlerins, et surtout, les pèlerins viennent de partout dans le monde. Hier soir, autour de la table, 14 pèlerins, 4 français, et les autres venaient d’Italie, du Brésil, de Corée, de Norvège ou d’Allemagne. Dans la montée, c’est pareil, toutes les nationalités se côtoient.

 

Dans la montée, justement, passé Orisson et les 8 premiers kilomètres (très raides), je suis passée dans le brouillard et ne l’ai plus quitté jusque Ronceveaux. C’est une drôle de sensation : on ne voit ni le ciel, ni l’horizon de toute la journée.

En dessous du brouillard...

En dessous du brouillard…

 

Les pèlerins se mettent en file indienne le long de la route ou du chemin. Chacun à son rythme et au rythme des averses (une averse par heure environ aujourd’hui). Une fois recouvert des ponchos, on a l’air de petits fantômes. J’avais l’impression de faire partie d’une procession de fantômes, le long d’un ruban de bitume qui se perd rapidement dans le brouillard. Au bout d’un moment, en montant, le brouillard s’épaissit. On voit à peine le fantôme devant soi. Et personne ne parle. Ça me donnait l’impression d’avancer dans un univers rempli de blanc, et silencieux, comme dans du coton.

Les fantômes dans le brouillard.

Les fantômes dans le brouillard.

 

On avance en suivant juste les marques rouges et blanches. On perd tous les autres repères. Je ne savais plus quelle heure il était. Rien pour s’arrêter, rien pour s’asseoir ou faire une pause. Je fais un ou deux arrêts, rapides. Je grignote quand j’ai faim sans savoir s’il est 10 h ou déjà midi. Et ça monte toujours.

Pendant ces moments, on ne réfléchit pas vraiment. En tout cas, ce n’est pas le moment de se demander ce qu’on fait là, et pourquoi on marche : ce n’est pas le moment de douter! Par contre, j’ai eu le temps de repenser aux 750 kilomètres déjà parcourus, les étapes et villages qui m’ont marquée, les rencontres aussi. J’ai pensé à tous ceux à qui j’ai déjà dit au revoir, ceux que j’ai perdu de vue il y a quelques jours et que je ne reverrai pas, puisqu’ils s’arrêtaient avant les Pyrénées. Et ceux que j’ai croisé hier en lançant « à demain, à Ronceveaux! ».

 

Le vent était froid. Et de temps en temps, il arrivait à pousser un nuage et je découvrais un morceau de montagne ou de vallée.

Une trouée...

Une trouée…

 

Jusqu’au col de Bentarte et la Fontaine de Roland, je vais bien. Les derniers kilomètres de montée, alors que j’ai fait le principal, sont par contre interminables. La fatigue s’accumule, et maintenant, j’ai vraiment froid. À partir de là, plus rien ne compte. Je monte, j’essaie de ne pas me faire mal, de boire régulièrement. Passage du col de Lepoelder. Photo, sourire de circonstance. Début de la descente. 4 km de descente, très raide, dans les bois, la boue et toujours le brouillard. Je ne sais toujours pas l’heure, mais ces 4 km dans la boue semblaient ne jamais vouloir se terminer, je n’en voyais pas le bout. Et j’étais épuisée, à rêver d’une douche chaude, d’un thé brûlant, avec un (ou deux ou trois…) carré de chocolat, du réconfort. Interminables.

La descente dans la forêt.

La descente dans la forêt.

 

En arrivant, on est soulagé : enfin! Je crois que je n’ai jamais fait quelque chose qui m’a autant crevé, entre la montée, certes, mais aussi la pluie, le vent et le froid humide.

 

Et on arrive dans une mécanique bien huilée, celle de l’abbaye de Ronceveaux : plus de 180 lits et jusqu’à 300 au moment de grandes affluences. Rien que le placard des chaussures m’a donné le vertige!

Le placard des chaussures à Ronceveaux.

Le placard des chaussures à Ronceveaux.

On m’a attribué le lit 254 à l’accueil. En arrivant dans le bâtiment, j’avais l’impression d’être dans un sous-marin! Mais à dire vrai, vu mon état de fatigue, le côté cadré « là, le lit ; là, les douches ; pour la lessive, tu suis les flèches jaunes ; repas à 19h » m’allait très bien un jour comme aujourd’hui, où j’avais déjà grillé tous mes neurones…

Je suis à J-2 du passage des Pyrénées, 30 jours pile après mon départ du Puy-En-Velay. Et avant les Pyrénées et la grimpette qui fait frémir tout le monde, cette semaine aura été une semaine de gros creux.

 

J’avais parlé des deux jours de pluie dans le Gers. Et puis a suivi une journée dans les champs de maïs, qui s’est achevée par 2 km le long d’une ancienne voie ferrée, puis 5 km le long d’une nationale en arrivant à Aire sur L’Adour. Là dessus, une soirée dans un gîte avec un petit groupe dont un dépressif du Chemin qui fait ce « Camino de merde à l’envers, pour être sûr de ne pas croiser le lendemain les gens qu’il a rencontré la veille » ont eu raison de moi et surtout de mon moral. Quelle ambiance?!

Alors bien-sûr, sur le Chemin, c’est comme sur le chemin de la vie : on rencontre de tout, des personnages de tous les ordres. Ces rencontres font parti du Chemin comme elles font parti de la vie. Ce que j’en retiens, c’est que j’ai toujours du mal à m’en prémunir, d’abord. Mais la bonne nouvelle, c’est que j’ai réussi à « passer au-dessus » après avoir appelé « à l’aide » autour de moi. Des deux gars croisés au Café des Sports de Arzacq-Arraziguet, aux autres pèlerins rencontrés dans les gîtes qui ont suivi, des amis via Facebook ou le téléphone, tout y est passé! Merci à tous pour vos contributions!!!

 

Ce qui a aussi participé à me faire retrouver de l’énergie, c’est le paysage qui a changé depuis que je suis arrivée dans le Béarn il y a deux jours, et au Pays Basque surtout, hier. Enfin, le Chemin renoue avec des paysages fabuleux. En contre partie, il pleut, tous les jours, et plusieurs fois par jour. Mais ça ne dure pas, et ça ne suffit pas à tremper les pieds! Et même les pluies et orages que l’on voit arriver de loin sur les Pyrénées ne nous découragent pas. Au contraire : les nuages arrivent comme une couverture qui recouvre les sommets, sur le bleu du ciel. C’est très impressionnant, et les contrastes sont saisissants.

 

Avant l'orage.

Avant l’orage… Faut qu’j’me dépêche…

 

Après la pluie... Et avant la prochaine averse...

Après la pluie… Et avant la prochaine averse…

 

Ostabat, dernière étape avant Saint-Jean-Pied-de-Port.

Ostabat, dernière étape avant Saint-Jean-Pied-de-Port.

 

Ce soir, 20h30 (29/05/2016).

Ce soir, 20h30 (29/05/2016).

 

 

Dernière chose qui fait un bien fou au pèlerin (et m’a réchauffé le cœur), c’est l’esprit et le regard qu’on lui porte. Depuis deux jours, les gens que je croise en voiture saluent de la tête. Avant hier, alors que je traversais les champs de maïs en plein soleil, toute seule, à 15h (ça chauffait sévère!), certains m’ont encouragée. Le moindre robinet ou tuyau d’arrosage est fléché « eau potable » dans les jardins. Les habitants improvisent des accueils de pèlerins dans leurs garages ou leurs jardins. A la boulangerie, les clients nous interrogent : d’où on vient, depuis quand nous sommes partis, jusqu’où nous allons. Cette considération et cette place que les habitants nous font, fait un bien fou. Ça semble anodin, mais depuis 30 jours que je suis partie, c’est la première fois que je ressentais cette gentillesse et cette attention vis-à-vis du pèlerin. Et je ne suis pas la seule à les avoir remarquées.

Dans d’autres régions, il m’est arrivé qu’on me dise, dans un « accueil de pèlerins » (donc un lieu où on devrait être accueilli…), qu’il faut « consommer pour espérer avoir accès aux toilettes » (ce à quoi j’avais envie de répondre « désolée, je n’avais pas vu le panneau Paris à l’entrée »… No comment…). C’était après Cahors. Du côté de Moissac, c’est un énorme soupir d’agacement qui était « l’accueil ». Ce genre de petites choses contribuent aussi au sentiment d’être vagabond, étranger, presque marginal. Et depuis deux jours, on a l’impression qu’une petite place nous a été faite, qu’on nous reconnaît. Ça n’a l’air de rien, dit comme cela, mais c’est vraiment touchant et important pour les pèlerins, et sans doute pour moi en particulier. Nous sommes de passage, ici, mais il y a une forme de respect et de place pour ce que nous avons entrepris et ce que nous sommes, un peu vagabond, et surtout pèlerin.