« Variante peu fréquentée et très solitaire qui demeure une expérience très particulière. Paysage au départ semblable à la steppe africaine qui, plus tard, ne révèle plus que confusément au loin, sur le vaste plateau derrière Calzadillas de los Hermanillos, la cordillère cantabrique couverte de neige jusqu’au printemps. Plus aucune trace humaine par endroits. On se sent très seul et à partir d’un certain point, il n’est pas rare qu’on perde tout espoir de jamais rencontrer un village. »

Voilà ce que mon guide disait sur la variante du chemin entre Sahagún et Reliegos. Il n’en fallait pas plus pour me convaincre d’emprunter ces 31 km sur une ancienne voie romaine, la Via Trajana, qui reliait jadis Astorga à Bordeaux. Sur les 31 km, un seul village. Pourquoi ce choix? Pour aller jusqu’au bout de ce que la Meseta peut m’offrir et pour faire l’expérience de la solitude et du silence dans toutes leurs profondeurs, au milieu de la nature.

 

Hier, beaucoup de pèlerins allaient donc vers la voie du Camino Real. Les risques d’averses ont fini de décourager certains. Juste avant l’entrée de Calzada del Coto, après Sahagún, le Camino Real part à gauche, la Via Trajana à droite. Au moment où je pars vers la droite, je suis presque seule à faire ce choix. Seul Tomas, recroisé il y a deux jours, suit aussi cette voie.

Calzada del Coto fait figure de village mort. Je croise une vieille espagnole, et j’aperçois un couvreur sur un toit. A la sortie du village, plus rien, la route s’arrête, et c’est parti pour les 9 premiers kilomètres de piste.

La Via Trajana à Calzada del Coto

La Via Trajana à Calzada del Coto.

 

Au bout de 9 km, j’arrive sous la pluie dans un petit village qu’on croirait sorti du fin fond de l’Amérique du Sud… En tout cas, c’est ce que j’en imagine. Quelques maisons, certaines dans une sorte de torchis ocre. Deux petites albergues. Des coquilles Saint-Jacques incrustées dans les trottoirs. Une église en briques. Et un magasin qui vend tout tout tout, de l’aluminium aux fruits et conserves, des produits frais aux collants ou au dentifrice. Et son patron, qui pose tout fier derrière son comptoir, au petit soin pour me vendre un paquet de biscuits.

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Contre toute attente, dans ce village d’un autre temps, l’albergue fait figure de halte de grand luxe. C’est quoi, le luxe, pour un pèlerin? C’est dormir dans un lit (et non un lit superposé), dans des vrais draps (et pas dans son « sac à viande » ou de couchage). C’est trouvé une serviette de toilette propre sur son lit. C’est avoir un tapis de douche pour poser ses pieds en sortant de la douche. C’est fou ce que ces petites choses très simples font du bien, quand on est dans un espace presque hostile et reculé, et surtout, quand on n’a pas dormi dans de vrais draps depuis… Le Gers, je crois bien, donc presque un mois. Quant au tapis de bain, je ne me souviens plus de quand date mon dernier tapis de bain… Bref, ces petits riens sont d’une simplicité déconcertante, on n’y prête aucune attention dans la vie habituelle, mais cela fait figure de grand luxe pour le pèlerin.

 

Ce matin, il reste presque 18 km à parcourir avant Reliegos, sans rien, pas un village. Je pars seule, au lever du soleil, et déjà le ciel est surprenant.

À 6h30 sur la Via Trajana.

À 6h30 sur la Via Trajana.

 

Je marche seule, en silence, sans croiser personne pendant 4 heures. Dans ces moments, je regarde le ciel qui change, je sens le vent, j’écoute les chants des oiseaux, toujours plus fournis quand il y a des arbres. Et je pense, à tout ça et à tout le reste.

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Au bout de 4 heures, je finis par rattraper Tomas, parti plus tôt encore.

 

Par la Via Trajana, on rejoint Reliegos, un petit village, par le haut. En quittant le rien, on tombe sur un village qui semble être fait de hangars colorés, sans clocher. En fait, le clocher n’est guère plus haut que les maisons, toutes simples. On arrive sur une place, et on tombe sur un bar qui crache le rock, Elvis Presley et la musique Country à fond.

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Une ambiance décalée, dans le village, et après cet espace temps suspendu dans la nature et le silence. On est aimanté par ce lieu dont la terrasse accueille bientôt les seuls téméraires partis sur la Via Trajana et qui arrivent au compte gouttes. Au total, 8 pèlerins. Quand on pense aux albergues qui devaient être surchargées sur le Camino Real… On se retrouve tous là, bière, café, tortillas, bocadillos… La nature, ça creuse! Moi, j’y suis restée plus d’une heure, à « digérer » les 4 heures précédentes, à discuter en buvant un café, à rêvasser encore, avant de me décider finalement à laisser Elvis à Reliegos.

 

Une dernière impression que me laisse la Meseta : ce plateau m’a semblé éprouvant physiquement.

Étant sensible aux environnements qui m’entourent, je me suis rendue compte, en traversant toutes ces régions depuis 1 mois et demi, que les paysages avaient un certain impact sur moi, sur mon état d’esprit, mon humeur. Le Gers m’a déprimé, je m’y suis ternie et étiolée. Le Béarn et le Pays Basque m’ont réchauffée, réconciliée, redonnée de la vie. L’Aubrac a été parmi les plus puissants, majestueux, froid où seul le jaune des champs de jonquilles apportait une pointe de chaleur.  Dans la Meseta, j’ai eu l’impression de faire une cure detox. J’en sortirai demain, et j’ai comme l’impression d’être nettoyée, vidée, presque purifiée.

 

 

Fait marquant de la journée : c’était hier, un moment déjà hors de la réalité entre Sahagún et Calza del Coto, lorsqu’un berger et ses chiens a fait traverser la N-120 à son troupeau de moutons. Ils ont fait arrêter le troupeau jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de voiture à l’horizon, et hop! Ils ont traversé cette sorte de voie rapide!

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Autant le dire tout de suite : je n’avais pas du tout anticipé ce que ça pouvait être de marcher 1 000 km, et les répercussions directes ou non. Un petit passage en revu s’impose.

 

Aujourd’hui, 11 juin 2016, en marchant vers Burgos, j’ai donc passé mon millième kilomètre…. Exactement, à Burgos, ça fait 1 010 km. En l’écrivant, j’ai moi-même du mal à y croire, et à m’en rendre compte. En avançant à coup de 20 à 30 kilomètres par jour, on se voit avancer, certes, mais on ne fait pas l’addition tous les jours, alors on ne se rend pas toujours compte du total.

Il se trouve qu’en passant ces 1 000 km, coïncidence, je termine ma créanciale, la première.

 

J’ouvre ici une parenthèse : qu’est-ce qu’une créanciale?
Il s’agit d’un « certificat » ou un « passeport » du pèlerin. Sur le Chemin, il existe des créanciales et des crédenciales. Une créanciale est un document d’origine religieuse, catholique. Une crédenciale est laïque. Moi, j’ai eu ma créanciale à la Cathédrale Notre-Dame du Puy au Puy-en-Velay. Comme elle est pleine, je me suis procurée un deuxième « certificat » pour les 550 derniers kilomètres. Et là, j’ai eu une crédenciale, auprès de l’association des Amis du Chemin de Saint-Jacques de Compostelle à Saint-Jean-Pied-de-Port.
Mais la sémantique n’a aucun intérêt. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il s’agit d’un « morceau de papier » qui reçoit chaque jour la preuve de notre cheminement sur le Chemin vers Saint-Jacques de Compostelle. Chaque gîte d’étape ou auberge a son tampon et chaque jour, on fait tamponner sa créanciale. Parfois, on peut aussi marquer son passage dans une ville en allant à l’office de tourisme, à l’église dans certains cas, et au bar ou magasin d’alimentation en Espagne.
Surtout, la crédenciale revêt un caractère très particulier pour le pèlerin, car c’est finalement un document où il retrouvera son Chemin, c’est l’unique preuve de son passage et de ses étapes.

Et surtout, une fois arrivé à Saint-Jacques, c’est la preuve contre laquelle il recevra la Compostella, une sorte de « diplôme » qui certifie qu’il a accompli le pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle.
Alors bien sûr, ça peut paraître anecdotique, de « collectionner des tampons sur un bout de papier », mais autant dire que ce que je viens d’écrire entre guillemets est une insulte pour un pèlerin. Sa crédenciale, c’est Son Chemin, la seule chose qui prouve où il est passé, la prunelle de ses yeux, un symbole de son cheminement. Et parfois, un souvenir ou un clin d’œil. Petit exemple : cette semaine, je suis passée à Santo Domingo de la Calzada. Le fait marquant de cette ville est que la cathédrale héberge un couple de gallinacés (un coq et une poule, je vous raconterai l’histoire une autre fois). En plus, la ville est à 550 km de Santiago. En allant à l’office de tourisme, je « me suis donc faite tamponner » (expression très usitée sur le Chemin mais incompréhensible hors cadre…) et j’ai un super tampon avec deux poulets et l’inscription « 550 km ». Et ça, c’est cool! (Sourire, contentement, joie simple).

Fermeture de la parenthèse.

 

Une créanciale pleine, c’est une petite fierté en soi. Ça matérialise le parcours :

Créanciale 1/2

Créanciale 1/2 : côté face

Créanciale 2/2

Créanciale 2/2 : côté pile… Cherchez les poulets!!!

 

Avec les 1 000 km est venue la question de l’usure des chaussures… Jusque-là, je n’y songeais pas, même si j’avais vu Jean-Maurice en changer à Pampelune. 250 km plus loin, il faut me rendre à l’évidence : je n’avais pas pris la garantie « 250 km de plus, pour 1€ de plus », et là, il est grand temps.

La révision des 1000 km...

La révision des 1000 km… Des godasses déglinguées.

 

Je me suis en particulier dit cela il y a 3 jours lorsque je me suis blessée. Les chaussures usées et devenues trop lâches ne tenaient plus suffisamment mon pied, et c’est là que les orteils se baladent dans la chaussure et paf!, un truc qui ressemble à une contracture musculaire « bien comme il faut », avec une douleur qui irradie dans tout le pied jusqu’à la cheville…. Ça m’est arrivé en fin de matinée, un jour où il faisait plus de 30 degrès, sur une portion du chemin dans les champs et sans aucune ombre… Les 10 km qui ont suivi ont été très très très douloureux… J’en pestais!!!

Depuis, je marche à l’anti-inflammatoire, local ou en médicament, massages plantaires qui font un bien fou, remèdes d’huiles essentielles des uns et des autres, consultation et recommandation au Centro de Salud, lorsqu’on en trouve un ouvert. Ça ne m’a pas empêché de marcher. Voire, hier, le Chemin était avec moi : la pluie de la nuit avait rafraîchit les températures, et les 12 premiers kilomètres de la journée étaient sur un chemin caillouteux, aux reliefs doux, qui m’ont fait l’effet d’un massage de réflexologie plantaire. Non, je ne suis pas maso, je vois juste la chose positive qui a réduit la douleur. C’est le principal!

 

Aujourd’hui, ma première mission en arrivant à Burgos, c’était de trouver une nouvelle paire de chaussures pour accompagner les kilomètres restants.

Mes nouvelles pompes!

Arrêt au stand : changement de pompes!

Et en plus, elles sont bleues! Pas fait exprès , mais assorties au reste de mon camaïeu bleu/indigo/violet…

 

Cet après-midi, c’est donc un repos forcé à Burgos. Forcé, parce que la sagesse veut qu’un peu de repos ne soit pas de trop pour mon pied gauche, mais je n’avais aucune envie de rester là… Du coup, j’essaie les nouvelles chaussures au Centro de Arte à Burgos (au Musée d’art moderne… rien perdu de mes réflexes de citadine…) et j’attends demain, l’heure de reprendre mon sac pour repartir. Vivement!

 

Fait marquant de la journée : aujourd’hui, Tomas est parti. Depuis Ronceveaux, je marchais avec Jean-Maurice et Tomas, une fine équipe. Tomas est parti de Saint-Jean-Pied-de-Port et voulait (et c’est bien normal) marcher seul. Il n’est pas le seul que j’ai vu quitter Burgos après la visite de la cathédrale. D’autres « amis de cheminement » ont repris le chemin directement. On s’est tous donnés rendez-vous à Leòn, de l’autre côté de la Meseta, dans 200 km. Pour moi qui devais rester là en me disant « c’est mieux pour ton pied », ça m’a fichu un sacré coup de bambou. Cafard. Gros coup de blues en errance dans Burgos… Ça aussi, ça fait parti du Chemin. Un mélange entre l’appel des flèches jaunes, la liberté que ça procure, le lien aux autres, l’écoute de soi, le respect de son corps.

Là, tout de suite, c’est dur, et j’en ai gros sur la patate.

Une des images mythiques du Camino Francès, le Col du Pardon ce matin, après 2 bonnes heures de marche. Un régal, un beau moment d’émotions pour moi lorsque je suis arrivée auprès de ces sculptures qui représentent des pèlerins, et que j’ai vu partout : les livres, les guides, les films, partout. Et ce matin, c’était mon tour!

Les sculptures du Col du Pardon.

Les sculptures du Col du Pardon.

 

 

Et puis cette petite anecdote du jour, avec cette photo dont je suis absolument fan! C’était ce matin, 6h30 en quittant Cizur Menor (où j’ai passé la nuit d’hier) à 3 ou 4 km après Pampelune. Je voulais prendre les silhouettes de deux pèlerins que l’on voit ici en ombres chinoises : l’un à pieds, l’autre en vélo. Et quand le cycliste a vu que je prenais cette photo, il a levé les bras au ciel. EXTRA!!! Merci y Buen Camino!!!

En quittant Cizur Menor, à 6h30 ce matin (3/06/2016).

En quittant Cizur Menor, à 6h30 ce matin (3/06/2016).

J’arrive bientôt à la frontière espagnole, vient donc l’heure du bilan côté chemin français. Et ça faisait un bout de temps que je voulais illustrer la « journée type » du pèlerin sur cette partie… En tout cas, ma « journée type » à moi… Ça donne ça :

Le matin, 6h : réveil. Tu es d’accord ou pas, tant pis : il y en a toujours un dans le dortoir ou la chambre qui a mis son réveil avant le tien!

6h

6h

Certains jours, je n’ai pas encore posé un pied à terre qu’il y a un « warrior » déjà parti, sans être passé par la case petit-dej, et un athlète déjà prêt qui fait des pompes dans le couloir ou devant l’entrée des toilettes… Moi, j’ai la tête encore toute ensommeillée et je reprends mes esprits, doucement…

7h45 : je suis toute prête, c’est le départ. En général, plusieurs sont partis avant moi… Comme m’a dit un certain Philippe ce matin : « il faut partir plus tôt : une heure de marche le matin, c’est deux heures l’après-midi »… Je n’ai pas répondu, mais j’ai pensé qu’il ne savait pas compter… 1h, ça reste 1h…

Dans la journée.

Dans la journée.

En général, je fais entre 20 et 30 km dans la journée. Ça me fait arriver entre 15h et 17h à l’étape, et quel que soit la longueur de l’étape, j’ai toujours cette tronche là en arrivant… Les derniers kilomètres sont invariablement très très (trop) longs…

Les 4 derniers kilomètres...

Les 4 derniers kilomètres…

 

Et après? Ben c’est pas fini! La vie de pèlerin ne s’arrête pas sur un transat à 16h chaque jour, non, non, non! Après, c’est l’heure des ateliers.

Les ateliers du pèlerin.

Les ateliers du pèlerin.

 

Selon la « disponibilité » des ateliers et équipements nécessaires, c’est atelier douche (mon préféré! C’est fou ce qu’une douche peut requinquer!!!), lessive des vêtements du jour puant et plein de sueur (obligatoire, pour son bien et celui des autres…), préparation de l’étape du lendemain (en Espagne, ça ira plus vite) et atelier « bibine et miam miam » pour le dîner!

Et après le dîner? Au lit, presque directement après. Avec la digestion, c’est coup de barre assuré. En général, à 21h30 ou 22h tout le monde est au lit.

 

Fait marquant de la journée : ce matin, 6 km après être partie, je rencontre un autre pèlerin sur le bord du chemin qui fume une cigarette. Je m’arrête et discute. Dans l’échange, il me demande mon étape du jour :

-« Sauvelade, et je suis partie d’Uzan ce matin.

-ah oui!?!? (L’air horrifié…) dis donc, c’est long. Faut avoir d’la cuisse! »

Je me suis mise à rire et j’ai pris cela pour un compliment (j’ai bon???) et j’ai dit merci, poliment… Celle-là, on ne me l’avait encore jamais faite!

NB : Uzan – Sauvelade, c’était 32 km, avec des montées et des descentes. Donc, oui, « faut avoir d’la cuisse!!! ». ?

 

 

I’m walking in the rain… Tanana nana na na naaaaaa na na…. Bref : 2 jours que je marche sous la pluie… Et que je n’ai pas du tout envie de chanter…

 

J’avais déjà eu une journée de pluie non-stop, du côté de Decazeville. Là, c’est la version orage. Hier, départ à 8h15 sous l’orage…27 km sous la pluie, presque ininterrompue. Aujourd’hui, 20 km sous les averses orageuses, les pieds dans la boue… Dur dur.

 

A quoi pense-t-on quand on marche sous la pluie???

Les autres, je ne sais pas. Moi, je pense d’abord à l’inventeur du poncho modèle « pélerine » de Quechua, et me demande pourquoi il n’a pas pensé à faire descendre le poncho jusqu’aux chevilles, plutôt que de l’arrêter aux genoux…. En moins d’1 km, on sent déjà le pantalon trempé qui colle aux mollets, puis l’eau qui remonte le long du pantalon par capilarité, à en avoir presque la petite culotte mouillée sous le poncho après 1 heure de marche!!! C’est quand même pas malin!!!

 

Le look "dromadaire" de l'été, dans le Gers.

Le look « dromadaire » de l’été, dans le Gers pluvieux… Les tongs python, c’est pour plus tard!

 

Au bout de quelques kilomètres de plus, je pense à l’inventeur des chaussures waterproof-pas-waterproof sous une pluie verticale continue (mais comment ont-ils testé leurs godasses???). Et je finis par repenser à ce que j’avais lu dans le « Miam miam dodo – Mode d’emploi de Compostelle » : la bonne nouvelle, c’est que l’eau se réchauffe au contact du pied. Je confirme… ?

Au bout de plusieurs heures sous la pluie, la première fois, j’ai même vu mes chaussures mousser?!?! La mousse sortait des trous d’aération. Mais qu’est-ce qu’ils-y-mettent, dans les chaussures?!?!

 

Ce que je préfère, les jours de pluie, c’est d’abord quand on commence à voir le ciel ce dégager à l’horizon : on a l’impression qu’un second matin se lève dans la journée. C’est une deuxième aube. Et juste après, on voit les collines et la nature qui respirent et soupirent, quand des gros nuages de vapeur se décrochent de la végétation pour rejoindre le ciel. C’est magnifique, comme le retour de la lumière dans un soupir de soulagement.

La campagne autour de Decazeville après la pluie.

La campagne autour de Decazeville après la pluie.

 

 

Ironie du sort : hier, après le départ, au Pont d’Artigues, j’ai été rejoint par un chien perdu sur le Chemin. J’ai d’abord essayé de faire en sorte qu’il ne me suive pas trop longtemps, pensant qu’il valait mieux qu’il ne s’éloigne pas trop loin de chez lui… Et puis sous la pluie, avec tout l’attirail… J’ai laissé tomber. Le chien m’a suivi.

Quand la pluie a diminué, j’ai essayé d’appeler les numéros de téléphone gravés sur son collier. J’ai retrouvé sa maîtresse, et j’ai appris que le chien était une chienne prénommée « Happy »!!!… Un jour de pluie : quelle ironie! Happy m’a accompagnée pendant 10 km, jusqu’au prochain village, Montréal du Gers, où sa maîtresse est venue la rechercher. Et moi, j’ai pris un café et une longue pause avant de repartir… Sous la pluie…

"Le chemin est beau parce que j'y suis".

Le chemin est beau parce que j’y suis.

Pèlerin? Marcheur? Randonneur? Voyageur à pieds? Je me pose cette question tous les jours, depuis 10 jours au moins. Ça revient presque à se poser la fameuse question : « pourquoi je marche? ». J’en suis venue à me questionner parce que, lorsque j’ai à me présenter, dans un gîte ou un office de tourisme, j’ai du mal à dire « je suis pèlerine sur le Chemin de St Jacques et je voulais savoir…. ». Ça ne me vient pas naturellement : « je suis pèlerine »…
Après plusieurs discussions avec mes amis du Chemin, il s’avère qu’il demeure dans le terme « pèlerin » quelque chose de religieux. Et je sais que la religion n’est pas ce qui m’anime.

Marcheur? Randonneur? Ça ne me va pas non plus. Ça n’inscrit pas assez dans la durée de ce que j’ai entrepris.

 

Alors que suis-je? J’ai repris la définition et l’étymologie du nom « pèlerin » : il vient du latin peregrinus qui veut dire « étranger » ou « celui qui voyage ». C’est finalement ce sens là, sans la religion, qui correspond le plus à ce que je vis dans mon chemin : vagabonde, une pèlerine sans pèlerinage. Qui cherche le bout de la terre, plus que la tombe de l’apôtre.

 

En s’inscrivant dans la durée, en dépassant le temps ordinaire des vacances (une semaine à 15 jours), on entre dans l’extra-ordinaire et un nouveau réflexe se crée : celui de repartir tous les matins. A Figeac, puis à Cahors, je m’étais dit que m’arrêter 24h pour profiter serait peut-être sympathique. Et puis finalement non. Si on n’est pas obligé de s’arrêter, pour une raison de santé souvent, le matin, on fait son sac et on quitte le lieu qui nous a hébergé une soirée, une nuit. C’est ça, la vie de vagabond : une nouvelle normalité, l’automatisme du départ. On reste en mouvement. Et quand on s’arrête, c’est pour se poser 1h sur un banc dans un village désert où on pourrait compter sur les doigts d’une seule main le nombre de voitures que l’on a vu passer, ou pour aller prendre un café dans un bar PMU d’une petite ville sans intérêt (soit dit en passant : j’aurais pu proposer mes services au Routard pour faire un guide des meilleurs bars PMU sur le Chemin!… Là, je teste la terrasse du bar de la place de la cathédrale à Condom, dans le Gers : presque 28 degrès, boisson fraîche bienvenue! ?).

 

Une autre sensation propre au vagabondage, c’est celle de ne pas trouver sa place en ville. Les arrivées dans les villes sont déplaisantes, interminables. L’arrivée à Moissac cette semaine a fini de m’en dégoûter : 3 km à parcourir avant d’arriver dans un centre ville moche (à part l’abbatiale, circulez : rien à voir), 3 km le long des voies de chemin de fer, des nationales, sur des trottoirs trop petits, où il faut éviter d’accrocher les rétroviseurs avec les bâtons de randonnée et le sac à dos (note pour plus tard : l’arrivée dans Burgos et ses kilomètres de zones industrielles et d’aéroport bitumés me donnent le vertige rien qu’en y pensant…). Quand le vagabond entre en ville, il arrive dans un espace qui n’est pas fait pour lui et où tout le lui rappelle. Jusqu’au regard des citadins.
Pour expliquer cela, rien de mieux que l’extrait de la chanson de Daniel Balavoine :
« Quand on arrive en ville
Tout l’monde change de trottoir
On n’a pas l’air virils
Mais on fait peur à voir ».
Tout est là, même si lui parlait des zonards. J’ai parfois l’impression d’être un fruit exotique, en arrivant en ville…

Avec la coquille sur le sac, on se sent encore identifié et identifiable. Une fois la coquille déposée, plus aucun signe pour se faire reconnaître. On se promène dans des vêtements dépareillés et multi-usages (pour optimiser le poids du sac). A ce moment là, je me sens être un fruit exotique, en veste polaire et en tongs (rien d’autre, à part les chaussures de marche… Mais mes tongs sont dorées et imprimées python : l’honneur est sauf!…) dans la ville… J’ai du mal à me sentir à ma place. Et là encore, on préfère repartir.

 

Au bout d’un certain temps, au bout de 3 semaines, je me sens donc vagabonde, étrangère qui découvre des villages ensommeillés. Je suis si éloignée de ma vie habituelle, que j’ai l’impression d’être dans un autre pays, ou d’avoir changé d’époque (version « Les visiteurs » :  dans certains endroits, on a presque l’impression que le temps s’est arrêté avant l’invention de la machine à vapeur et la révolution industrielle…). Je suis en voyage à pieds et toujours en re-partance pour ailleurs, sans savoir où exactement, mais le but n’a déjà plus vraiment d’importance.

Cahors (15 mai 2016)

Cahors (15 mai 2016)

 

Y’en a marre! Ras le bol des touristes et autres « randonneurs du dimanche » qui viennent marcher 3 jours pour le « pont » de l’Ascension! Non seulement, ils  narguent les pèlerins en nous doublant dans les montées interminables avec leurs petits sacs à dos de 2 kg à peine, mais en plus, ils nous piquent les lits dans les gîtes d’étape!!  En ce week-end prolongé, les pèlerins galèrent pour trouver un lit dans un gîte (je parle d’un truc pour dormir, un matelas sur le sol fait l’affaire, je ne parle même pas d’une chambre), tandis que les touristes arrivent en groupe, piquent les places, tout ça pour payer moins cher. Tout simplement SCANDALEUX!

Hier, j’ai passé 2 heures à appeler tous les points de chute possibles entre Espalion et Conques. Après plus de 22 km compliqués sous une chaleur arrivée en un claquement de doigt, j’avais espéré une fin de journée différente! Un gîte d’étape devrait imposer la crédenciale (sorte de « passeport du pèlerin ») à l’entrée des gîtes. J’ai envie de les insulter quand j’en vois un passer!!!!!!!!!

Et comme m’a dit le Père Michel de l’Abbaye de Ste-Foy à Conques, hier au téléphone, après m’avoir expliqué que le dortoir de l’Abbaye était déjà complet 4 soirs de suite (dortoir de près de 100 places) : « et surtout, excellente Ascension »… Ben voyons…

 

Fait marquant de la journée : hier, je suis passée à St-Côme-d’Olt, village-bijou sur les bords du Lot, idéal pour une semaine de vacances. À recommander et à retenir pour plus tard. Sur mon dessin, c’est le toit de la flèche de l’église qui se tord comme une flamme vers le ciel.

St-Côme-d'Olt

St-Côme-d’Olt

 

 

 

 

 

C’est l’histoire d’un belge, d’une australienne et de deux parisiens qui se retrouvent il y a trois jours au « Pain de Sucre », le bar-tabac de Monistrol-d’Allier qui n’a d’exotique que son nom. Pas de caipirinha, pas de samba au fonds des gorges de l’Allier, mais un petit coin chaud (c’est tout ce qui compte quand on vient d’essuyer une averse de grêles dans la descente accidentée) où on cause entre pèlerins :
-« Tu la sens comment, toi, la montée vers Saugues? Il est midi.
-Moi, je continue. J’ai réservé à Saugues.
-Pas envie de m’arrêter là.
-I’ll carry on too ».
Depuis le matin, déjà 14 km, et pour aller à Saugues, c’est 12 km de plus tout en montée, pas de gîte annoncé pour écourter, et ça commence par une sortie de Monistrol dont le dénivelé est à faire pâlir un pèlerin.
Nous sommes donc partis à petits pas, tels des tortues, avec nos sacs à la place de la carapace. Des tortues bleue, orange ou verte… On a avalé les 7 premiers km, contents d’être ensemble pour se motiver, tant dans les montées que lorsqu’on perd le balisage du GR65 et qu’il faut faire demi-tour (…). Les 5 derniers km nous ont semblé interminables. Et on arrive « sur les genoux » à Saugues, mais dans la bonne humeur.
Tellement de bonne humeur que le lendemain, on se donne rendez-vous pour l’étape suivante, pour affronter la neige et le froid. Mais la neige et le froid, ensemble.

 

Malgré les -1 degrés au départ (et guère plus ensuite), le vent fort, la neige et la pluie verglaçante (je suis formelle : pas de muguet en Margeride cette année pour le 1er mai…), nous avons cheminé, discuté, et ri, ri, et ri encore. Le rire réchauffe, le cœur et le reste.

Nous avons ri en arrivant dans ce corps de ferme où nous avons recupéré Laars, un suédois qui demandait des « bocadillos » au paysan hirsute devant tant d’affluence dans sa grange. N’empêche que le paysan nous a servi un chocolat chaud providentiel et délicieux.

Le bec sucré du 1er mai

Le bec sucré du 1er mai

Nous avons ri encore en discutant Eurovision sur le Chemin (ABBA vs. Marie-Myriam… Suspens insoutenable…), en philosophant tout l’après-midi dans une chambre surchauffée une fois arrivés à l’étape.

 

Nous avons encore marché tous les 4 aujourd’hui, mais nous savons déjà que demain sera un autre jour. Qu’importe, ces moments font désormais partis de nos chemins.

Ensemble, c’est tout, et c’est déjà beaucoup.

 

[NDLR : j’inaugure ici une rubrique « fait marquant de la journée ». Attention : anecdotes croustillantes en perspective… 😉 ]

Fait marquant de la journée :  dans la montée du Villeret-d’Apchier, hier, on s’est fait doubler par un gars qui courait sur le Chemin avec un sac à dos de 4 kg à vue de nez (suis devenue spécialiste du pesage de sac « à vue de nez »…). Sur le coup, on n’y a pas cru (et on a ri…) mais nous ne rêvions pas : ce gars tout vêtu de lycra vert fluo fait bien le Chemin de Compostelle en courant (?!).

 

Un 1er mai en Margeride

Un 1er mai en Margeride